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Confluences
12 mars 2005

Retrospection

PARCE QUE J'AI EU PEUR DE DEVENIR FOLLE. .J'avais 21 ans. Anorexique depuis 3 ans, consciente de l'être depuis un an. Consciente de l'être,et pourtant continuer à l'aimer.A m'aimer? Je l'etais? Ou je l'avais? Je l'étais. Ca oui.Toute la différence avec les autres maux. J'ai l'anorexie? Non. Je suis ano. et c'est sans doute ça le plus dur.Parce que,à ce moment précis,l'ano et moi,on ne fait qu'un.
Ano soeur,Ano maternante,Ano meilleure amie,Ano amante. Je ne sais plus quelles sont mes limites,je ne sais plus quelles sont les tiennes.Je ne sais pas où tu commences,je ne sais pas où tu t'arrêtes. Je l'aime.

Retour d'Angleterre. D'une année éprouvante, les séances avec les élèves,tout sourire,mais sur les rotules avec la gorge sèche et les muscles tremblants. Une seule idée en tête.La bouffe. La bouffe.La bouffe.Y'a qu'Elle que je veux assevir à ce point. Y'a qu'Elle pour qui je pourrais me perdre complètement.

Retour en France: un grand vide. Journée etendues à l'infini. Le temps...pour la regarder en face. Le vide,le creu, la vacuité,les pensées, le miroir. Je me regarde jusqu'à l'étourdissement. M'occuper de moi est un calvaire. Je crois même qu'il y a certains jours où je ne me suis même pas lavée. Je suis seule,malheureuse, je suis seule mais je le veux, je voudrais tendre la main, crier,mais je sais que personne peut comprendre ça. Je connais personne qui ait ça, je sais que ça existe ... Parler aux gens? Simplifier tout ce mal, toute cette douleur insoutenable par de simples mots?Par les 26 lettres de l'alphabet communes à tous? Ce mal, j'ai jamais rien connu de tel. Je ne ressens même plus la douleur physique.C'est tout ce que les gens voient. les phalanges osselets.La clavicule saillante. Escarres. Ils voient pas que c'est à l'intérieur que je suis en train de crâmer.C'est atroce.Atroce à se taper la tête contre les murs. Je l'aime,je la hais.Mais je l'aime.

Alors je perds. Les kilos;la boule aussi. Je tombe en trance . J'ai froid.Il y a une paroi qui se dresse.Je m'en rends compte,mais c'est comme si je sommeillais loin,loin, et que la voix des gens m'atteignait un peu dans le brouillard.Il n'y a que des pensées folles dans mes yeux fous qui ne savent plus regarder..ni voir...pensées à 100 à l'heure,qui se bousculent.Ca va pas. J'ai peur,je deviens folle,je deviens...j'vois plus les gens,j'ai peur,je m'éloigne,j'ai la trouille...de ne plus jamais pouvoir revenir.
Peur de la folie,d'une folie qui me couperait du monde à tout jamais. Peur d'être une personne internée ,recroquevillée,qui passera le reste de sa vie,les yeux dans le vague.

C'est cette peur là qui m'a sauvée.

J'ai appelé mon père ce soir là. Quelle chose terrible à faire,moi qui déteste leur parler. Moi qui repousse leur aide, qui repousse la conversation d'un balayage de la main. Moi l'invincible,c'est moi qui parle,là,de cette petite voix essoufllée,tremblante,déposée sur le répondeur:
"j'crois que je suis en train de sombrer dans la folie...faut pas m'laisser"

Ils sont venus me chercher le soir même. Voiture,je pose ma tête contre la vitre, abattue. Anesthésiée par ce que je viens de faire. Ils me parlent,me posent des questions. Jleur parle..un peu. Epuisée.

....


Je me suis réveillée le landemain dans mon lit,là bas, ici, dans ma chambre d'ado. Je me suis reveillée comme les autres jours ...d'abord on sent ses yeux tréssaillir, rien qu'une seconde de sensation physique..puis on voit la lumière,la pièce,les meubles..puis après on pense.La réalité est revenue à moi.Comme un coup de poing. Mais qu'est ce que j'ai fait? Qu'est ce qui m'a pris? Mais c'est pas vrai!!!! J'ai capitulé!!
Et là je me suis mise à pleurer toutes les larmes de mon corps,pleurer comme une petite fille,un petit tas d'os tremblant,perdu, qui ne sait pas ce qu'il va lui arriver.J'ai sangloté en mordant mon oreiller. J'avais cedé. J'avais en une impulsion cedé à la vie, la vie qui n'en etait pas une dans ma tête à l'époque.

Ma mère est entrée dans ma chambre, pour me dire qu'elle m'avait pris un rendez vous chez le médecin à 9heures. J'ai tourné la tête contre le mur,en faisant comme si elle m'avait réveillée. J'ai caché mes yeux pleins de larmes ,feignant d'être éblouie par la lumière. Je lui ai dit d'une voix étouffée :"je suis en train de dormir.."

J'avais un rendez vous. Je ne pouvais plus revenir en arrière. J'avais avoué. J'avais dit les mots irréparables...
Aucune idée de ce qui allait m'arriver. J'avais demandé de 'aide, mais tout au fond de moi je n'avais aucune foi dans la guérison. Qu'allait il falloir que je fasse? Passer les jours de mon avenir à reprendre des kilos? à..manger? Comment allais-je faire, comment allais-je guérir?Moi?Que faut il faire? Je n'arrivais pas à avoir la moindre idée de ce que serait mon futur,de ce que serait demain. Le flou. J'ai peur.


C'etait il y a quatre ans. Le déclic. Déclic,qui n'en etait pas vraiment un,car la conscience de ma maladie je l'avais déjà eue,tout en voulant néanmoins la préserver. Le mouvement, le mouvement le plus dur,celui de demander de l'aide.Celui de dire.Celui de renoncer.A se perdre.

J'ai parcouru du chemin,et peu à peu,la vie reprend ses droits par une série de batailles, de dilemmes,une série de petites victoires gagnées contre soi. Peu à peu,j'ai appris à voir que c'etait possible. Peu à peu,on retrouve son indépendance.
Et cela a été la guerre la plus difficile à gagner. L'effort de tout mon être.

En cette nuit sans sommeil à 1h du mat,ce souvenir vif,qui me revient. Ces larmes,et cette panique du matin sur l'oreiller,surtout. La gosse perdue.Le landemain de ma capitulation.Ma honte,ma honte. Et moi qui,sans le savoir encore,venais de me sauver la vie.

Texte du 5 aôut 2004, sur le forum de mon amie Cora.

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