stylo

"Tiens,elle vous pèse à chaque fois?" me dit il en consultant mon dossier; "vous avez des problèmes avec l'alimentation?"

Restons zen. "Moui, un peu; mais c'était surtout avant, là ça va."

Je veux ma toubib. Avant je la voyais les samedis matins mais là je bosse maintenant...donc en vacances...c'est elle qui part.

Elle sait même pas que j'ai eu le concours. La dernière fois que je l'ai vue elle m'a prescri des anxios et souhaité bonne chance pour mes oraux à Poitiers. Mai ou Juin...

Il y a sur son bureau, un espèce de stylo qui tient en équilibre, aimenté, sur une petite pyramide...

Je le regarde souvent...que faire dans un cabinet de toubib...regarder, se demander...pourquoi tel ou tel objet...moi par exemple, j'aurais mis plus de couleurs chaudes et des plantes. Il y toujours du écru, du blanc, du beige. Comme dans les hopitaux. On doit leur imposer des couleurs neutres,je suppose.

Le calendrier est resté au mois de septembre. Il faudra qu'elle revienne. Tourner la page. Elle manque, et lui le pauvre, remplacant, qui hérite d'un cabinet durant quelques jours, qu'il ne peut personnaliser à sa guise...

Il a tout regardé, mes pesées, mes prises de sang, parce qu'il est exclu de l'histoire...le pauvre. Il a noté, de sa jolie écriture qui n'a rien d'une écriture de toubib: tension, 11,2. Remontée.

Moi je pensais à vous, madame, vous m'avez repêchée dans un état lamentable la première fois que j'ai passé la porte de votre cabinet, et qui m'avez parlé de votre soeur, "qui ne mangeait plus qu'un yaourt et une pomme, à la fin"...et à votre cancer...au fond vous devez  comprendre ce que ça fait d'avoir une maladie, en soi, qui vous isole, parce que les mots n'arrivent pas à la rattrapper...les mots coursent la maladie pour l'épouser, pour en faire leur, mais elle se sauve...et le jour où les mots la rattrappent alors elle est guérissable. Elle les sème, c'est nous, atteints qui les récoltons...sans parvenir à joindre les deux... ma toubib et moi. Ma toubib à moi...