pour J.
Lorsque j'ai eu 22 ans ,soit l'année où je suis retournée en fac, je me suis dit que je voulais enseigner. Je savais que ça n'allait pas être facile. Mais quels que soient les obstacles j'avais quelque chose à transmettre.Et j'allais vivre avec ce but.
Plusieurs fois dans ma vie, les livres, la poésie, la peinture, tout ce qui appelait un peu la fantaisie m'avaient été d'un grand secours. Un peu comme les seuls espaces-temps dans le monde où nous vivions,où les rêves,les divaguations, les dix-vagues à l'âme, etaient encore permis.
1999 avait été la pire année de ma vie; l'année de tous mes passages à l'acte. Je ne citerai sans doute pas ici les bêtises que j'ai pu faire cette année là. Je me souviens d'un jour,cependant, au moment de commettre l'acte fatidique,je me suis dit :"non Sab. Il reste encore trop de choses à lire. Il reste encore trop d'âmes à sonder. Après, tu sauras." A cette époque, la seule chose qui me remontait encore un peu le moral était d'aller m'acheter mes livres de poche. J'avais l'impression de m'oublier en eux, ou encore, paradoxalement, de m'y retrouver. Je cherchais mes réponses, peut-être une issue, tout en sachant que je ne la trouverais jamais complètement et c'est cela qui rendait la chose si excitante. Peut-être un désir de vie que d'étancher une soif de questions existentielles insolubles, dont on prolonge encore et encore la découverte...infinie et insensée.
Dans le dessin c'était surtout la transe que je cherchais. Cette sensation de tout oublier, en se donnant toute entière à la toile, aux détails minutieux qui servaient de point focal où je plongeais ma concentration.
Puis il y avait l'écriture. Indescriptible parce que c'était trop une partie de moi-même. Tout passait par là. Il en allait de ma survie.
ce que je voulais, en me lançant dans l'enseignement, c'était offrir des espaces comme celà aux élèves. Des espaces de création, qui soit m'avaient manqué,parce qu'on ne m'en avait pas donné l'occasion ,ou parce qu'ils étaient systématiquement dévalorisés: l'idée même de les évoquer était terrifiant. Il fallait avoir confiance en soi.
Je voudrais offrir ça aux ados. Je n'arrive pas bien à trouver un mot qui rassemble tout cela à la fois. Je voudrais leur offrir une occasion à CHACUN de montrer un espace de sensibilité, de personnalité.De se connaître à travers la création. Lorsqu'on est mal, et dieu sait si l'adolescence est un âge fragile, ça peut contribuer à nous sauver la vie. J'en suis la preuve. Et tout le monde a quelque chose à sortir en lui, TOUT LE MONDE.
Je passe un Capes de documentation, pour la troisième fois.
Mardi et mercredi, avaient lieu les épreuves écrites. J'ai râté lamentablement. Il y a encore une semaine tout était encore jouable. Il suffit d'un rien et c'est l'accident.Cela fait plusieurs jours que je suis complètement sonnée.J'ai les larmes aux yeux, tout le temps.L'année dernière,j'avais râté les oraux, mais cette année je n'irai même pas jusque là. J'avais tout donné cette année. Je n'avais vécu que pour cela, je n'étais pas sortie. Je ne pouvais pas râter.Ca ne devait pas se passer comme ça. J'étais prête. Ca ressemble un peu à un cauchemar.Les jours d'après, lorsque l'on rêve tant d'inverser le temps,parce que c'est si brutal encore.
Je me suis conditionnée pour réussir, peut-être trop,justement, et que c'est cela qui a couru à ma perte. Je ne sais pas.
Je ne sais pas ce que je vais devenir, quand cette année scolaire se terminera. Il me reste quelques mois pour profiter encore un peu de les avoir,de leur présence, de mon statut d'étudiante. Ma dernière année de scolarité. Rien qu'à écrire cette phrase j'ai les yeux qui se remplissent de larmes. Certes elle devait se terminer, mais pas par un échec.
Il va falloir que je m'habitue à marcher sur un sol nouveau, avec de nouveaux points d'appui, un nouveau sable. Nouvelle confluence dans ma vie.
Si tu me lis J, je voudrais te dire de t'accrocher. J'espère que la plc2, voire carrément le métier ,un jour nous réuniront à nouveau, toi moi et les filles de la classe qui auront tenu le coup. Ceux qui n'auront pas perdu confiance comme moi je l'ai perdue.
Je me suis souvent demandée, si je devais parler de ma maladie aux filles de la classe. Cette année j'éprouvais davantage le besoin de le dire, tout en ayant envie de vous protéger, donc je ne l'ai pas fait. J'ai pensé plusieurs fois vous réunir, ou encore vous écrire un mail collectif. Je n'en aurai pas eu le cran. Peur de fragiliser davantage les fragiles, ou au contraire d'abimer celles qui n'ont jamais eu de problèmes.
On s'en sortira, un jour de ces tourbillons de doutes qui nous assaillent. C'est cela aussi que je rêvais de vous dire. "VIVEZ ,car vous êtes toutes pleines de promesses" et toi aussi J. Et j'suis contente d'avoir croisé la route de certaines d'entre vous.